mercredi 11 janvier 2012

S'acheter du sommeil à fort prix au son des matines

Il y a quelques jours, j'ai vécu dans un commerce une expérience à mettre dans la catégorie « pousse mais pousse égal ». Récemment, circulant en famille sans destination précise – du moins je ne me rappelle plus où nous nous rendions, signe que la vie se conjuguait ce jour-là au conditionnel plutôt qu'à l'impératif (que nous n'avions manifestement rien à faire!) – nous avons de concert décidé de partir en quête de nouveaux oreillers, une activité qui, en termes moins politically correct, est un synonyme d'« aller perdre notre temps dans un magasin ».

Il faut avant tout préciser que ce qui nous servait depuis quelque temps de soutien rembourré pour la tête durant le sommeil relevait davantage de la vulgaire enveloppe matelassée au rembourrage aplati que du véritable oreiller.

C'est ainsi que, puisque nous nous trouvions déjà dans le secteur du boulevard de l'Arc-en-Ciel de l'Harmonie (cf. Que du vent!), nous nous sommes rendus chez un marchand de matelas connu à proximité et chez qui tant de clients doivent entrer en fredonnant Frère Jacques! (Je l'ai fait au grand plaisir de la princesse!). En entrant, un vendeur avenant – trop selon mes critères – et d'une bonne humeur à rendre jaloux le Bonhomme Carnaval nous a accueillis.

Ce que nous cherchons? Le but de notre visite? Qu'est-ce qui dans ce magasin pourrait transformer notre vie en une perpétuelle béatitude nocturne? Les oreillers.

J'ai bien dit des « oreillers ». Or, la première question du vendeur a été : « Sur quel type de matelas dormez-vous?... dormez-vous?... dormez-vous? » (Mais non, l'effet subliminal est un ajout de mauvaise foi de ma part!) Devant notre hésitation, le vendeur a précisé qu'il avait besoin de connaître cette information afin de pouvoir nous faire essayer en magasin différents oreillers sur un matelas comme le nôtre. Le temps d'une seconde, j'ai cru que c'était simplement une façon de parler, mais l'instant suivant, le vendeur nous invitait à le suivre vers le fond du magasin vers ce matelas qui devait correspondre au degré de fermeté de notre vieille paillasse. Puis, il nous a apporté une panoplie d'oreillers – 4 ou 5 chacun! – afin que nous les essayions et en évaluions le confort, douillettement installés à l'horizontale sur ledit matelas.

Nous avons poliment décliné l'offre du vendeur de nous étendre sur le matelas pour essayer les oreillers proposées, mais il a insisté. Or, comme j'ai généralement la mèche courte devant une insistance à me faire faire ce que je ne veux pas faire lorsque ce n'est pas un impératif de la vie, mon cas personnel s'en est trouvé réglé pour le vendeur : je lui ai indiqué poliment que je n'allais pas essayer la sélection d'oreillers ni non plus en acheter un cette fois-ci.

Par contre, pas aussi air bête que son centricois de mari, la dame du couple a entrepris l'essai des divers modèles, sans toutefois aller jusqu'à s'étendre sur le lit test. Trop mou, trop dur, puis voilà : l'oreiller qui lui convient est identifié, relativement ferme, totalement hypoallergène, pour les gens qui dorment surtout sur le côté, qui ronflent seulement les jours impairs, qui rêvent en noir et blanc, etc. C'est alors que le vendeur commence son pitch en déballant un tas de caractéristiques sans importance, comme par exemple que l'oreiller est assorti d'une garantie de sept ans, qu'il s'agit d'une marque renommée, que les matériaux utilisés sont d'une très grande qualité, que pour cent dix-neuf on a vraiment un produit qui va nous assurer un sommeil blablabla… Je ne me rappelle plus de la suite car j'ai arrêté d'écouter le vendeur à « cent dix-neuf »! Ma dulcinée et moi ne nous sommes pas regardés, mais nous avons tous deux pensé la même chose : « Cent dix-neuf! Il a bel et bien dit… 119… dollars… pour UN oreiller! »

D'accord, je ne magasine pas souvent les oreillers et je n'en connais donc pas vraiment les tendances et la valeur, mais je sais qu'un oreiller – celui dont moi j'ai besoin en tout cas, pas celui de feu Kim Jong-Il ou de la Reine de Quatre Saisons, pas un oreiller assorti d'une taie brodée de fil d'or – ne devrait pas me coûter 119 dollars. En fait, je ne sais pas combien ça vaut véritablement un oreiller, de sorte que si le vendeur nous avait proposé un produit moins cher, sous la barre des trois chiffres à tout le moins, je n'aurais pas pu juger si vite que ça n'avait pas d'allure.

Mais là, ça n'a pris que le temps d'une respiration pour dire au vendeur que nous allions passer notre tour, ce à quoi il a sorti l'artillerie lourde, une offre incroyable qu'il nous serait difficile de refuser. C'est que durant les Fêtes, le magasin a[urait] eu des coupons de remise de 25 dollars en main pour le bénéfice des clients, mais comme la succursale drummondvilloise n'en avait plus de ces fameux bons de réduction, le vendeur a proposé de vérifier auprès de la succursale de Trois-Rivières au cas où il en resterait là-bas.

À ce moment précis, si ma fille avait pu parler, elle m'aurait sans doute dit : « Papa, à l'ère des télécommunications, comment se fait-il que le monsieur de Frère Jacques ait besoin de faire venir physiquement un coupon en papier d'un autre magasin pour qu'on ait droit à notre rabais? » Et moi, si ma fille avait été en âge d'entendre des grossièretés, je lui aurais répondu lucidement : « Parce que le monsieur, il nous boulechite! »

Nous avons immédiatement indiqué au vendeur que sa démarche ne serait pas nécessaire, nous l'avons remercié et sommes sortis du magasin en silence, personnellement en me disant sans conviction que j'étais peut-être déconnecté de la réalité et que c'était au fond ça le prix à payer pour un sommeil douillet. Quel troublant constat que cette prise de conscience qu'un simple oreiller soit un objet de luxe qui n'est pas à la portée de tous! Qui donc prendra le leadership pour faire inclure l'accès à un oreiller moelleux dans le calcul de l'indice de développement de l'OCDE?
Toujours est-il que quelques minutes plus tard, nous ressortions d’un autre magasin à proximité, la modeste échoppe de Samuel Walton pour ne pas la nommer, où nous avons fait l’achat de deux oreillers « fabriqués au Canada » pour la modique somme de 6,88 $ chacun. (Petite précision : bien que l’emballage portait une mention tape-à-l’œil « Fabriqué au Canada », l’étiquette cousue au produit, elle, est plus mitigée dans son libellé :
Extérieur fabriqué en Chine
Rempli et fini au Canada)

Vérification faite une fois les nouveaux oreillers testés en situation de sommeil réel, ceux-ci se sont avérés confortables, sans doute pas à la hauteur des oreillers royaux du commerce précédent, mais à plus de 17 fois moins cher, j’accepte de prendre le risque de reposer ma tête durant mon sommeil sur un produit proposant un rapport qualité-prix fort intéressant jusqu’à maintenant, mais qui ne m’offre toutefois pas… une si essentielle garantie de sept ans!

La morale de l’histoire, c’est que certains commerces de spécialité semblent adopter la stratégie de la pêche aux gros poissons et se dire que les consommateurs mordront à l’hameçon de prix exorbitants comme gage de qualité. Évidemment, il y a une clientèle pour ce type d’offre, dont l’auteur de ces lignes ne fait évidemment pas partie. À chaque consommateur de trancher si le prix desdits spécialistes en valent la chandelle. Pour ma part, le soir venu, quand la chandelle est morte, je dors à poings fermés la tête bien blottie sur mon oreiller bon marché.

4 commentaires:

  1. Pour la modique somme de 0$, je me suis déniché un oreiller qui traînait dans le garde robe des parents! On peut bien donner une seconde chance aux objets rejetés!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Anonyme qui aimez les affaires gratis, j'ai un tuyau pour vous. Si jamais vous sentez la fatigue vous gagner durant les heures d'ouverture des commerces, sachez que vous pouvez vous rendre chez un marchand de matelas près de chez vous et demander pour essayer des oreillers. Le vendeur vous reconduira au lit de votre choix dans le magasin afin que vous puissiez les essayer. Ne vous reste plus qu'à être persistant quant au temps d'essai et convaincant auprès du vendeur pour parvenir à faire un petit roupillon!

      Supprimer
  2. Comme moi je dors pas d'oreiller du tout depuis 30 ans je vais aller m'acheter une "bébelle" tout de suite avec l'argent ainsi économisé. Hi! Hi! :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le Centricois s'interroge: une bébelle à 119 dollars ou une à 6,88$?

      Supprimer