jeudi 30 août 2012

Fable électorale pour contrer le vote stratégique

Au Québec, jamais aura-t-on autant parlé de vote stratégique. Pour le Parti Québécois, c'est même devenu le nerf de la guerre. Dans son ultime campagne publicitaire à la radio, le PQ y va à fond de train dans ce sens avec les lignes «Moi, je vote majoritaire; je vote Parti Québécois!»

Le bémol, ici - j'en ai déjà fait état dans un précédent texte - c'est qu'une fois élu, le PQ (ou quelque autre parti ou politicien ayant eu recours à cette stratégie électorale) aura tôt fait d'interpréter à son avantage cet appui électoral. Avant l'élection, on appelle au vote stratégique; après le vote, on se gargarise d'avoir obtenu un appui sans équivoque à son programme et à sa personne.

Si vous n'êtes pas familier avec le concept du vote stratégique, je me permets de vous en décrire ici - subjectivement - la nature. Le vote stratégique consiste à voter pour le moins pire des candidats plutôt que pour le meilleur selon ses critères personnels, le tout pour bloquer l'éventuelle élection de la pire des options. En d'autres termes, chaque électeur a à divers degrés des convictions bien à lui qu'il accepte de mettre de côté - parfois en se pinçant le nez - pour favoriser le candidat le plus susceptible d'empêcher le parti qu'il déteste plus que tous les autres de remporter l'élection dans sa circonscription.

D'un point de vue logique, bien qu'il puisse être compréhensible pour quelqu'un de chercher par tous les moyens à défaire la pire option, il demeure que cette approche fait en sorte que l'électeur n'est trop souvent pas grandement emballé par son choix, ce qui contribue inévitablement au cynisme et ce, jusqu'à la prochaine élection où ce même électeur sera à nouveau tenté de voter stratégiquement contre tel politicien ou parti qu'il voudra voir perdre à ce moment-là.

La conséquence de la vigueur du vote stratégique est fort simple: c'est l'alternance au pouvoir de programmes politiques peu audacieux et plus ou moins blanc bonnet bonnet blanc dans la poursuite d'une stabilité politique rassurante, mais jamais pleinement satisfaisante. Pour prendre une image, le vote stratégique est un peu le coït interrompu de la démocratie!

Cela étant dit, le vote stratégique est légitime et tentant du fait qu'il est susceptible de donner des résultats immédiats, comme il semble que ce sera le cas lors du scrutin de la semaine prochaine où les Libéraux risquent fort d'être déboulonnés après neuf années de pouvoir. Le vote stratégique, donc, est une action rapide à effet rapide, que je suis tenté d'illustrer ainsi: si votre enfant arrive en pleurant à la maison en vous disant qu'un camarade d'école le bouscule et se moque de lui, vous pouvez lui suggérer de devenir dès le lendemain ami avec le plus fort de sa classe même s'il n'a pas beaucoup d'affinités avec lui. À court terme, ça va régler son problème à coup sûr, jusqu'au jour où le protecteur va en décider autrement et commencer lui aussi à bousculer votre enfant. Autre approche: vous pouvez aussi lui suggérer de resserrer les liens avec ses autres camarades de classe qui se font eux aussi baver pour éventuellement être capable de renverser la vapeur et d'exiger le respect grâce à la force du nombre. Mais cela demande beaucoup d'efforts... et du temps.

C'est la même chose dans l'arène politique: à long terme, le vote stratégique est dévastateur pour les idées nouvelles et les petits partis qui ne parviennent que très rarement à émerger devant les gros protecteurs du statu quo, parce que les électeurs veulent en finir illico avec le gouvernement qu'ils veulent sanctionner en se rangeant du côté du plus fort en termes d'intentions de vote.

Pourtant, la perspective de changer les choses à long terme et de façon plus durable n'est pas une aventure impossible; pour y parvenir, il faut juste y croire, persévérer en redoublant d'ardeur, prendre son mal en patience, être prêt à surmonter de nouveaux écueils, etc. En politique comme dans la vie, la sagesse commande la patience et l'effort à longue échéance, comme l'a illustré Jean de La Fontaine dans Le lion et le rat: «Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.»

Cela m'emmène à vous partager ma propre fable sur le vote stratégique, contemporaine mais ô combien plus modeste dans le style que celles de l'illustre poète. Je l'intitule:

De la division du vote naquit un jour Québec solidaire


Amir Khadir, héros de fable


Il était une fois...

Hum-hum!

Il était une fois, une circonscription électorale du nom de Mercier. Ce comté, péquiste depuis des lustres, s'était même offert la coquetterie d'initier cette histoire d'amour en défaisant en 1976 nul autre que le premier ministre Robert Bourassa lui-même et en élisant le péquiste Gérald Godin.

Puis, le temps passa et un jour, quelque part en 2000, le député toujours péquiste de Mercier Robert Perreault démissionna et s'ensuivit le déclenchement d'une élection partielle fixée au 9 avril 2001.

Cette élection, contre toute attente, se conclut par la victoire de la candidate du Parti libéral Nathalie Rochefort. La cause de ce retournement: la division du vote souverainiste.

Concrètement, les forces de gauche se rassemblèrent derrière un candidat indépendant souverainiste ayant une bonne notoriété, Paul Cliche (Cette alliance fut plus tard en 2002 officialisée par la création d'un nouveau parti: l'Union des forces progressistes.). Puis, durant la campagne électorale, le candidat péquiste Claudel Toussaint fut éclaboussé par des allégations sur son passé de violence conjugale, avec le résultat que la candidate du PLQ se faufila entre les deux.

Pour Québec solidaire qui naîtra quelques années plus tard en 2006, le plafond de verre venait en quelque sorte d'être brisé: les appuis de la gauche, solides dans Mercier, pouvaient dorénavant s'exprimer en dehors du PQ dans une option toute aussi électoralement viable.

À l'élection générale suivante, le péquiste Daniel Turp a été élu, défaisant notamment le représentant de l'UFP, un certain Amir Khadir. Même résultat à l'élection de 2007, à la différence que Khadir, maintenant candidat sous la bannière unie de Québec solidaire (parti né de la fusion de l'UFP avec le mouvement Option citoyenne de Françoise David), recueille cette fois-ci 29% des voix, à quelques points seulement du gagnant Turp.

«Patience et longueur de temps...»

Ce n'est qu'en 2008 qu'Amir Khadir sera finalement élu député et, aujourd'hui en 2012, le député de Québec solidaire s'apprête à être réélu par une forte marge. Qu'on soit en accord ou non avec les idées défendues par Amir Khadir et Québec solidaire, il convient au minimum de reconnaître que la présence de ce parti à l'Assemblée nationale est souhaitable et apporte une voix différente - d'aucuns diront discordante - dans le débat public.

La morale, c'est que bon nombre des électeurs de Mercier ont dû avoir la nausée d'avoir vu un jour une candidate du PLQ être élue chez eux (Il est à noter que Nathalie Rochefort a toujours été associée à la gauche, même au PLQ), mais que le temps, une bonne dose de vertu et beaucoup de fortune (les deux fondements indissociables du succès politique pour Machiavel) auront permis qu'aujourd'hui, Québec solidaire compte sur un député dont les appuis sont tels qu'il apparait indélogeable, du moins à court terme.

Si les gens de Mercier avait toujours voté de façon stratégique, le PQ n'aurait jamais perdu la circonscription. Nathalie Rochefort du PLQ n'aurait certes jamais été leur députée, mais Amir Khadir non plus!

Le 4 septembre prochain, au lieu d'opter pour le vote stratégique du moins pire ou de «voter majoritaire» comme certains en font maintenant l'appel dans leurs publicités, songez plutôt à voter pour votre premier choix, pour votre coup de coeur, pour le parti ou le candidat qui vous propose de construire un modèle de société dans lequel vous souhaitez vieillir et voir vos enfants et petit-enfants grandir. (Si cela veut dire pour vous de voter pour le parti qui remportera l'élection, tant mieux: vous serez doublement gagnant!)

Quand vous serez dans l'isoloir avec votre bulletin de vote en main, prenez le temps d'une grande respiration: «Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.»

On ne sait jamais...

Et si nous décoller un peu le nez sur le présent nous permettait collectivement de mieux entrevoir et façonner l'avenir? Oui, Debout! Assez c'est assez. Faut que ça change. Pour le Québec, c'est À nous de choisir... Le 4 septembre, ON vote!


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Article intéressant qui rapporte les propos de Jean-Martin Aussant, chef d'Option nationale, au sujet du vote stratégique:
http://www.ledevoir.com/politique/elections-2012/358082/le-pq-ne-cherche-qu-a-se-faire-elire

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